(mawar) enfin

les pieds dans l'eau, les yeux mi-clos, l'esprit loin, si loin, dans un ailleurs que lui ouvre le monde des rêves et celui des visages, beaux, laids, accueillants, méfiants, ces visages si doux et si humains, ces personnes qui ont construit, pierre par pierre, mot par mot, sa vie et le quelqu'un qu'elle est aujourd'hui. elle savoure avec extase ce moment de tranquilité, simple, un bonheur solitaire et nécessaire qui ne s'obtient que par l'acceptation et le dévouement, acceptation de soi, dévouement aux autres. le soleil réchauffe sa peau de bronze avec une tendresse qu'elle connaît bien, astre paternel et aimé. un vent frais vient carresser ses cheveux et un sourit étire ses lèvres roses.
la plage est prise d'assaut par les touristes, qui se croient maîtres des eaux et des sables; elle est peinée par ces stupides gens inconscients d'une vérité pourtant évidente, pure, entière: ici, les riders sont rois, rois des risques, rois de leurs passions, de leurs mers, de leurs océans, la vague est une promesse, la brise une réponse. seuls ceux qui savent aimer autre chose que les petits hommes comprennent les illusions et les réalités qui planent (mais sans menace) sur les gens, confondus, ici.
en proie à une profonde pensée laborieuse, un mouvement au coin de l'oeil attire le regard d'Ajeya: une surfeuse. pourtant, il y en a plein, presque une dizaine, qui se partage les flots; alors pourquoi elle? elle se concentre un peu sur les mouvements de la mystérieuse pour comprendre cette distraction soudaine. elle se murmure à elle-même: Mawar!. la fille, c'est Mawar, elle l'a rencontré à Bali, deux fois, déjà. la seconde fois, elle a obtenu son prénom, sauvage, libre, chaud, comme elle. Mawar, dieu, qu'elle est belle! elle a de longs cheveux dorés, assouplis par le soleil, et une peau de miel absolument délicieuse, mais surtout, surtout, un talent monstre sur une planche. un don innée offert par l'océan, le père d'Ajeya, à Mawar. donc et même si c'est stupide, elle la considère un peu comme une demie-soeur. parce que yaya elle n'a pas de don, elle, mais elle aime l'océan autant que Mawar l'aime, elle en est sûre!
alors, demoiselle naïve attrape sa planche et se précipite sur l'eau, à califourchon, à la recherche de la vague qui l'emmènera aux côtés de cette amie providentielle. elle se laisse porter par quelques mouvements contrôlés, et arrive presque à sa hauteur. Mawar! répète-elle, la voix vibrant de joie.
elle tente difficilement de se caler sur le rythme de Mawar, mais elle a du mal, parce que la belle sauvage, elle est imprévisible, libre, déchaînée,: sublime dans sa supériorité.

quand mawar file sur sa planche, c'est comme une fuite en avant, en ligne droite, une fuite vers l'infini. elle glisse sur l'eau avec une assurance innée. rien ne troublerait sa course tranquille vers l'avant. l'avant, c'est quoi ? c'est qui ? c'est quelque chose d'inconnu, qui n'existe pas encore, mais vers où elle se dirige avec engouement, et qu'elle espère connaître rapidement. c'est une direction à sens unique, qui va toujours vers l'est, et qui s'arrête à l'autre bout de la plage, sur les rochers. peut être que l'avant, c'est la mort, qui arrivera un jour ou l'autre, lorsqu'elle l'aura un grave accident de surf qui lui enlèvera la vie. en attendant, elle glisse sur la vague, comme elle glisserai sur les paroles de ces gens qui lui disent de descendre de cette planche, de se trouver un mari, de voiler sa chevelure de sirène. elle glisse sur toutes ces injonctions. mawar la révoltée, c'est ainsi que l'appelait nati. mawar, l'insoumise, l'effrontée. elle conserve en elle l'énergie de son jeune age, qui la pousse à tenir tête aux hommes de son pays. elle apprécie la liberté de la vague, qui l'éloigne de ses ennemis et  l’emmène découvrir le monde. arrivée en thaïlande depuis deux jours à peine pour une compétition de surf féminin, elle a pris sa planche, dès avoir posé pied à terre, et s'est jeté à l'eau. depuis, elle n'a pas quitté l'océan, dans lequel elle sent constamment chez elle. son pays n'a pas de frontière, il couvre les trois quarts de la terre. dans l'eau salée, elle ne sent aucune menace. même pas celle de la mort.
dans le coin de son œil, elle voit une jeune surfeuse qui s'approche d'elle avec sa planche. elle l'entend crier son prénom, et sans se retourner pour voir le visage de la fille, elle sait que c'est ajeya qui vient de crier son nom. elle attend qu'ajeya la rejoigne pour lui sourire à son tour, et continuer avec elle, sa fuite vers l'avant.
mawar apprécie ajeya, comme si elle était quelqu'un avec qui partager un secret. le secret de leur existence. dans ses sourires et sa naïveté, elle y trouve un réconfort et une fiabilité. elle lui accorde une confiance, qu'elle n'aurait jamais pu créditer un homme, trop méfiante du sexe opposé. alors, elle se laisse guider par la petite, qui lui prend par la main, et lui dit mawar, ne pas trop vite, reste avec moi. elle la ramène petit à petit dans le monde des vivants, et enlève la mawar qui surf dans le monde des morts.