TSUNAMI (reef)

mawar écoute les murmures du vent. il lui chuchote des mots dans des courants d'air, qu'elle prend comme des vérités. elle sent sur sa joue si la brise vient du nord, du sud, de l'est ou de l'ouest. nati lui a appris à écouter les dires du vent, à les écouter de très près car ils sont garants des plus belles vagues. hier soir, elle a senti que le vent venait du sud ouest. elle a senti un vent fort, assez violent et unidirectionnel pour faire valser la mer et bouleverser la tranquillité de l'océan.
assez tôt, elle a quitté ses amis occidentaux qui s'étaient réunis autour d'un feu de camp sur une des plages de la côte. la jeune fille préférait se coucher tôt, et se reposer au maximum puisqu'elle savait déjà que demain matin, elle se lèvera avant le soleil pour pouvoir aller rencontrer l'adrénaline. mawar a de nombreux secrets, qui sont comme des perles de nacre au cœur des coquillages. elle les cèle très profondément en elle, et refuse de les dévoiler à tous les jeunes surfeurs occidentaux qui viennent pulluler sur les plages baliniennes. elle est très possessive avec ses côtes, parce que c'est l'unique chose à laquelle elle pourrait se raccrocher si un jour de grand vent elle était emportée par l’alizé. elle aime ses terres, qui sont constamment sur la corde raide entre les risques de tremblements de terre et les tsunamis. les touristes ne comprennent pas que peut être un jour une catastrophe viendra détruire le petit paradis. ces secrets, elles gardent en son cœur parce qu'elle ne souhaite pas voir tous ces jeunes surfeurs se jeter à l'eau, et envahir ces paradis aquatiques. elle ne fait confiance à personne, et même si elles traînent souvent avec eux sur le bord des plages, elle reste souvent muette. mais ne pouvant pas se lancer dans ses expéditions aquatiques seule, il fut très difficile pour elle de trouver un compagnon après que nati eut pris le large. chez reef, elle a aperçu la même passion pour le risque, et pour le surf sauvage. elle a saisi dans ses yeux l'ombre d'une vague haute comme une montagne, et dans sa voix, elle a entendu le tremblement de l'adrénaline.
un jour, elle l'a pris à part pour lui dire de se tenir prêt. parce qu'à n'importe quel moment, elle pourrait venir le chercher, l'enlever, le kidnapper. elle lui a dit qu'elle s'en ficherait de son emploi du temps, de ses sessions, ses interviews ou ses shootings photo. qu'il faudrait qu'il soit là, disponible et la planche sur le bras. qu'avec la mer, on ne prend pas de rendez vous, qu'on ne cale jamais une date ou une heure. parce que ce qui fait le charme d'une vague, c'est son imprévisibilité. il lui a dit qu'elle le trouverait à cette adresse, et qu'il laisserait son portable allumé, prêt à dégainer.
elle se gare avec la camionnette que lui a prêté son voisin devant l'adresse que lui a indiqué reef. et cherche reef dans ses contacts, mais elle n'a pas besoin d'appuyer sur le bouton appeler qu'elle aperçoit le garçon avec sa planche de surf sous le bras devant la maison.
c'est le bon.
elle baise sa vitre, ne le salue même pas (elle n'a pas le temps d'être polie), et lui dit : mets ta planche derrière, et grimpe.

il s'exécute, et grimpe sur le siège à ses côtés.
elle lui tend un bandeau noir.
et dans son anglais approximatif mets ça sur tes yeux, j'veux pas que tu saches comment t'y rendre
elle ne veut surtout pas qu'il puisse y aller sans elle,
savourer cette vague qui lui appartient.

le vent s'est levé, je le sais parce que les rideaux qui pendent à la fenêtre de ma chambre de location se mettent à danser sur mon visage, bercés par les premières lueurs du jour. je m'étire en baillant, le sourire naissant.
la houle s'annonce bonne. Les conditions parfaites pour mouiller la planche.
j'ai attendu ce moment pendant deux semaines,
deux semaines à surfer des vagues minables, deux semaines de shooting photo pour de stupides maillot de bains fluo, de jogging matinal sur des plages à touristes bondées, de sourires feint et d'ennui profond.
Mais aujourd'hui, les dieu du surf sont avec moi. Enfin.
Il ne faut pas plus d'une minute et demi pour jeter un vieux t shirt sur ma carcasse vaguement endormie, j'aurai bien pris une douche, mais pas le temps. L'océan m'envois un carton d'invitation tout désigné pour l'une des meilleures sessions du mois. Le signe que j'attendais.
j'enfourne une part de pizza froide, abandonnée la veille sur la table du salon, dans mon gosier, cherchant mon gun du regard.
Mawar l'a promis, et je sais qu'elle ne me fera pas faux bond.
Elle a ce truc dans les yeux, ce truc qui brille derrière son sourire. Elle sait. Elle comprend.
lorsque j'ai posé mes yeux sur son visage fermé pour la première fois, j'ia tout de suite su voir cette petite lueur. Ca s'est confirmé lorsque je l'ai vu chevaucher les vagues. Mawar comprend. Mawar aussi, elle est fiancé à l'océan.
Je ne saurais pas vraiment expliquer ce que ça veut dire, ou bien d'où ça vient, je pense qu'il n'y a pas vraiment d'explication, raisonner la dessus serait essayer d'apprendre à un dragon comment donner la patte, absurde.
Parce qu'au fond, il y a deux genre de surfeurs dans le monde. il y a ceux qui surfent pour vivre, puis il y a ceux qui surfent pour en mourir. Mawar fait partie de cette seconde catégorie, les watermen, les fils des vagues, les filles de la houle.
ceux-là comprennent le langage de l'océan; Ceux-là en sont devenues les intimes.
Nous ne vivons plus que pour les vagues, toujours à la recherche de cette espèce de violente liberté qui déferlent dans les veines lorsque l'océan menace, traquant la vague ultime, toujours plus loin, toujours plus dangereusement.
Lorsque j'ai rencontré Mawar, j'ai compris qu'elle aussi, elle sacrifierait tout.
J'ai vus sur son visage l'ombre des géantes, et la folie des aventuriers de l'écume.
Entre nous, pas besoin de mots, pas besoin de masque, juste ces regards entendu, cet amour partagé pour les vagues gigantesques, les monstres sauvages, les montagnes-océan.
Pour la plupart des surfeurs, ce genre de vagues serait mortelles, mais pour un petit, tout petit nombre de privilégié, les géantes sont un immense terrain de jeu, un shoot plus violent que l’héroïne, une raison de vivre. Une raison de mourir.
je jette un oeil par l’entrebâillement de la porte,
un sourire
il ya une camionnette dans la rue
et dans la camionnette, il y a Mawar.
j'attrape la longue planche à la silhouette effilée avant de me précipiter à sa rencontre, radieux.
j'ai toutefois une légère surprise lorsqu'elle me tend son morceau e tissue noir, m'invitant de son accent exotique à mutiler mon regard.
Elle ne me fait pas confiance.
Je souris, et m’exécute, celà ne servirait à rien de discuter, je n'ai qu'une seule envie, celle de jeter ma planche dans l'eau salée, et discuter ne ferait que nous retarder.
Puis au fond, j'agirais surement de la même façon si c'était elle qui venait surfer mes vagues, à hawaii.
je suis déjà chanceux d'avoir été invité à les partager, ses vagues.
- je suis aveugle, on peut y aller. je lance à la volée.
dans le monde, il y a deux catégories de surfeurs, il y a ceux qui surfent pour vivre, et ceux qui surfent pour en mourir.

il s’exécute sans dire un mot.
ainsi, il avance de plusieurs cases sur le chemin semé d’embûches qui lui permettra de gagner la confiance de mawar. elle lui tend des pièges, qu'il évite avec brio, créé des impasses, des guets-apens, des traquenards pour voir avec quelle grâce il les contourne, avec quelle intelligence il les dévie. et avec quelle docilité, il se pli aux ordres de la princesse des vagues.
elle fait tourner la clé, et démarre le contact. et la camionnette se lance sur les routes désertes. elle fait des bonds parce que la route n'est pas plate, et que le sentier est cabossé et bombardé de trous. ils volents, parce que mawar roule vite, beaucoup trop vite.
parce qu'elle a hâte de se jeter dans la gueule du loup, enlacer la mer enragée éperdument, la tenir dans ses bras, et la serrer jusqu'à l'étranglement. l'aimer passionnément.
plonger sa tête sous l'eau et sentir l'haleine salée de la vague, sentir ses crocs attaquer sa chaire, digérer ses pensées noires, et la recracher dans la mousse blanche.
elle a hâte de plonger dans le gosier de la mer, et tomber jusqu'aux entrailles de l'océan pour être que celle ci, ne supportant pas sa rébellion, la vomit sur la terre, rendant ainsi la sirène déchue à sa mère.
mawar est une sauvage, une barbare et souvent elle ne rêve que de violentes embrassades avec sa mer, parce que pour elle, l'amour et la violence créent les plus belles histoires.  
mawar a la carte du pays tatouée sur sa peau cuivrée, elle n'a pas besoin de consulter l'atlas de géographie pour savoir qu'entre les falaises et les montagnes, il y a des petites criques réservés aux impertinents, aux aventuriers audacieux, qui connaissent les petits routes perdues dans la verdure, qui sont autant de nervures que sur le dos d'une feuilles. ses veines bleuies indiquent le chemin à suivre pour aller se perdre dans la nature sauvage indonésienne.
la camionnette fait des bonds, on vole.
ça fait une vingtaine de minutes qu'ils sont partis, et les mots restent des rêves avortés. on imagine silencieusement les vagues que l'on va très prochainement chevaucher. et l'excitation étouffe la discussion.
- ça va pas trop secoué ? on y arrive.
mawar gare la camionnette à l'ombre d'un arbre, elle coupe le contact.
- tu peux enlever le bandeau, maintenant.
elle descend de la voiture, et sort sa planche du coffre. elle retire le t-shirt et le short qu'elle portait jusqu'à présent, et enfile son lycra, sa tenue de guerrière.

elle ne jette même pas un coup d'oeil à l'océan,
elle n'a pas besoin de le regarder,
elle sait déjà que les vagues sont parfaites.

Noir. C'est drôle comme tout devient plus intense dès que la vue nous est ôtée. Le bruit du moteur qui crache un peu plus fort dans les montées. Les ressorts qui menacent de percer la surface usée du siège passager, meurtrissant mon postérieur. Douleur que je décide de taire, je ne vais pas me plaindre en face de Mawar, ce serait comme jeter ma fierté au fond des chiottes et tirer la chasse d'eau. Un suicide émotionnel. Alors j'endure, et j'endure cette conduite de plus en plus douteuse, les virages qui manquent de me projeter contre la vitre. Je le sais parce que je sent ma joue frôler le verre froid à chaque fois qu'elle donne un coup de volant. Mais là non plus je dis rien. Parce que de toute façon, on s'en fiche non, de ces conneries ?
J'aimerais juste arriver sur la plage en un seul morceau. Ce serait tellement con de crever loin de la mer, prisonnier d'une boite en fer.
Il y a l'odeur aussi, celle du pétrole qui échappe du moteur, laissant son fantôme hanter l'habitacle. Puis celle qui émane de moi, celle-là je l'aurais bien évité. Trop tard. Tempi, l'océan le fera pour moi. puis il y a l'odeur du sel, de l'iode qui fleuri tout d'un coup avec violence dans mes narines, et cette odeur-là couvre toutes les autres. C'est l'odeur du bonheur, l'odeur de la liberté.
Puis il a un grand coup de frein et mon front vient heurter ce qui me semble être le pare-brise, aouch.
Je souris,
- c'est ok
puis sur ses mots j'enlève le bandeau
- merci
Et là, le silence. parce qu'il n'y a pas de mots. Mes yeux sont fixés sur les montagnes bleus. les gigantesques vagues qui déferlent devant mes yeux avec fracas.
l’excitation monte, le rythme cardiaque qui s’accélère, les mains qui dansent. je n'ai plus qu'une envie, c'est d'aller les surfer, ces géantes. J'en aurait presque la trique, à les regarder, parce qu'elles sont parfaites ces vagues, vraiment parfaites.
Mawar ne m'a pas menti. Mawar ne s'est pas foutu de ma gueule quand elle disait bonne vague.
Je m'extirpe de la carcasse de ferraille à la suite de ma compagne, le sourire jusqu'au oreilles, les yeux qui pétillent.
J'ai une pensé pour la combinaison que j'ai oublié sur le sol de ma chambre. Merde. Tempi. Rien à foutre, c'est trop tard pour y penser, j'abandonne mon t-shirt sur le sol, ma planche sous le bras.
Armé, je me met à dévaler les rochers jusqu'à la berge, puis je lui lance un regard, à Mawar
- c'est parti
et je lance ma planche sur l'onde salée, je commence à pagayer.