lame de fond/

NOT AFRAID OF HEIGHTS

⟨ feel the fear and do it anyway ⟩

l'horizon est dégagé, fil tendu d'un bout à l'autre. loin sous le calme de la surface, c'est un profond grondement qui semble n'avoir aucune origine. ça commence par une ride sur l'océan immense, une force invisible filant à la recherche d'une destination. puis la vague-encore-à-naître bute sur la pente du fond marin, et sa masse violente et comprimée ne peut plus que s'élever dans les airs. un vide se crée. comme une profonde inspiration, sur toute l'étendue de Glen Beach, la vague se retire, exposant la nappe rocheuse couverte d'algues et le ventre sableux du lit de la mer. dans les creux de la roche, les anémones se rétractent et des petits poissons s'enfuient par les fissures. un bref instant, l'océan retient son souffle. la vague sombre est d'une taille colossale, saupoudrant de miroitements les profondeurs qui ignorent la lumière, c'est une vague qui se tord si haut qu'elle arrache au ciel le soleil, les étoiles et la lune, et transforme le jour en encre. elle se cabre, lutte avec elle-même, puis se brise dans un rugissement épouvantable, déferlant vers la rive vulnérable et les deux silhouettes plantées sur la bande de sable blanc.
putain, t'as vu ça. c'était un monstre. six mètres, à vue de nez.
ouais. et elle a pété bien sec. le récif était à moitié hors de l'eau. c'est dingue.
un silence. les deux surfers contemplent leur adversaire. surfer sérieusement, c'est comme un règlement de comptes. quand la houle est forte, il ne s'agit plus de faire ses preuves. il faut y aller comme quelqu'un qui ne croit pas la mort, sourire comme un dément dans l'arène, et monter au line-up à grands coups de griffes voraces. il faut labourer le ventre de ces monstres noirs, jambes fléchies bien bas, pieds largement écartés sur sa planche. et pour chaque vague qui te crucifie, tu dois en massacrer deux autres tout aussi méchantes.
tu crois que c'est faisable?
honnêtement? j'en ai aucune idée. mais c'est la main de Dieu, mec. le reste, c'est que du sport et du loisir, des trucs ordinaires. est-ce que t'as envie d'être ordinaire? moi, en tout cas, je choisis la main de Dieu sans hésiter.
ils échangent un regard furtif. leurs souffles sont courts, leurs muscles tendus. ils sont loin d'être des lame-o, ils connaissent les vagues aussi bien qu'ils connaissent les corps des filles, et ils se sentent forts du courage illusoire de leur folie. malgré ça, leur appréhension est palpable. ils tremblent presque. gouffre ou matrice, l'océan s'ouvre et se referme devant eux, effrayant, monstrueux. mais ne sont-ils pas là pour ça, après tout? pour la mater, cette peur. la sentir, la bouffer, et la chier dans un grand alléluia?
ils s'élancent.

nous venons tous de la mer. mais nous ne sommes pas tous faits pour elle. nous qui le sommes, enfants de la marée, nous y retournons encore et toujours. jusqu'à ce qu'un jour, nous y restions.